Pour la première fois nous étions en très petit comité. L'atelier avait lieu le matin et peu de personnes ont pu nous rejoindre. Il y avait trois participant-e-s. Pour la première fois également nous étions dans le grand studio du Musée de la danse avec sa belle lumière naturelle et son noir omniprésent, une bonne chose pour les images !
Nous en avons profité pour prendre le temps de discuter avec le groupe des enjeux, du fond et de la forme de la restitution de Déplaces qui aura lieu dans la salle Guy Ropartz à Maurepas le 16 mai. Notamment de notre positionnement artistique collectif vis à vis de la question du refuge et de l'accueil. L'avis des trois personnes présentes nous a aidé à esquisser les contours du jour j, idées que nous pourrons partager avec tous le groupe d'ici quelques jours.
Ensuite, Marine a invité les participant-e-s à réaliser des exercices de
porté qui reposaient sur la coopération, l'écoute des autres et le
rythme.
Cette séance intimiste c'est terminé sur un exercice impliquant tout le groupe. Non seulement c'était très beau à voir et à immortaliser mais aussi, ces
exercices mettaient en avant la cohésion de notre petit collectif : dans
ces positions délicates il faut que chacun-e fasse confiance aux autres
pour éviter la chute.
Aujourd'hui toute l'équipe artistique est réunie, Julie, Marine, Anne et moi (François).
Comme toujours le groupe est mouvant. Certain-e-s sont absents alors que des visages qu'on n'avait pas vues depuis quelques séances émergent à nouveau. Tandis qu'une nouvelle venue vient danser avec nous pour la première-fois.
Même si la restitution est encore un peu loin ( huit ateliers), l'envie de tendre vers ce moment et de lier le travail du mouvement d'une séance à l'autre est bien présente. Ainsi comme vous le raconte plus en précision Anne dans son texte ci-dessous, nous revenons à la pratique des gestes comme "cartes d'identités visuelles".
Tandis que l'atelier se prépare, cinq participant-e-s qui avaient apporté des objets "porte bonheur" me les confie le temps d'une photo, pour que j'en garde trace. Répondant ainsi à une invitation lancée il y a plusieurs semaines.
Les participant-e-s se mettent en cercle et à travers la progression des exercices en viennent à proposer un geste qui les représente. Il sera ensuite repris par les autres membres du groupe.
A la fin de l'atelier, une équipe de quatre danseuses vient devant la caméra pour enregistrer les gestes partagés pendant cette séance. Elles enchaînent les mouvements de chacun-e des participant-e-s. Reda les accompagne pour marquer le rythme :
Comme nous l'avions déjà fait précédemment, lors du cercle qui clôt l'atelier, celles et ceux qui souhaitent partager des chansons avec le groupe sont invitées à donner de la voix. Cette fois-ci quatre chansons nous sont offertes par Inès, Fatima, Keti et Adama. Il y aura aussi une tentative de reprendre un tube de pop music en anglais, mais ça n'a pas marché pour cette fois. Affaire à suivre !
De mon côté, j'ai pris beaucoup de photos de pieds. Je voulais changer l'axe de mon regard, j'ai déjà photographier ces cercles que forment nos danseurs et danseuses. Alors, j'ai essayé d'étudier leurs appuis, de voir comment ils tenaient debout, la manière dont était répartie leur poids sur le sol. Il se trouve que ça bouge beaucoup des pieds de danseurs, ce n'est pas évident à figer ! Voilà une petite sélection de mon angle de recherche du jour, en guise de conclusion.
Aujourd’hui,
nous sommes au complet : François, Julie, Marine et moi.
François
installe son matériel pour prendre en photo les objets grigri que chacun.e
était invité.e à amener, même si encore aujourd’hui, peu y ont pensé. Nous
prendrons le temps la prochaine fois de questionner chacun.e sur les raisons de
ce choix, ce que ces objets évoquent pour elles/eux, pourquoi ils les
accompagnent.
La séance est
principalement prise en charge par Julie qui repart d’une précédente
proposition (atelier du 28 février) : donner un geste ou des gestes qui nous
représentent, une sorte de « carte d’identité dans un monde où on ne donne
pas son nom, prénom, âge, etc. mais un geste » (je la cite). La plupart
d’entre nous s’emploie consciencieusement à en trouver un, mais quelques-un.e.s
ont du mal à le faire devant tout le monde ou n’ont pas d’idée sur le moment…
ça viendra soit au cours de la séance soit plus tard. Finalement, on a presque
tou.te.s un geste. Tour à tour nous l’accomplissons devant le groupe et les
réactions vont bon train : bienveillance mutuelle et franche rigolade par
moment ! Puis Julie nous demande de les refaire, de se les approprier en
quelque sorte.
Ce qui me semble
intéressant ici c’est la place occupée par le registre culturel (au sens
anthropologique du terme) dans la définition de soi à partir d’un geste, du
corps donc et la perception qu’en a autrui. Le geste de Rafida à cet égard est
intéressant. C’est un mouvement circulaire du bassin et de la main. Trois ou
quatre garçons semblent beaucoup s’en amuser. Face à cette réaction qu’elle
estime sans doute exagérée, Inès se sent comme obligée d’apporter une
explication qui se révèle être d’ordre culturel : chez moi, les
garçons ne peuvent pas reproduire ce geste car c’est un geste féminin – elle utilise
un mot en arabe, mais je ne l’ai pas mémorisé. Cette réaction m’intéresse
beaucoup car ce que j’ai perçu de la situation n’est pas forcément un refus de
la part de ces garçons, ils ont juste rigolé un peu plus que d’habitude. Cette
explication que je pourrais ainsi résumer « dans ma culture, les garçons
ne font pas de gestes (socialement construits comme) féminins car ils seraient
discrédités » m’amène à formuler deux remarques.
D’une part, nos
manières de sentir, d’agir, de penser… ne sont a priori pas toutes les mêmes
dans ce groupe. Si le registre culturel (c’est-à-dire des interprétations du
type « c’est culturel, c’est dans sa/ma culture, etc. ») est présent en
creux, il n’est pas très mobilisé par les participant.e.s. Ce que nous avons
privilégié implicitement, c’est une attention à l’individu ici et maintenant –
sans pour autant nier ses héritages. J’ajouterais que cette situation
interculturelle dans laquelle nous sommes met en scène des jeux de différenciation,
d'opposition, d'identification qui puisent leur sens dans des références
culturelles qui fonctionnent comme des ressources réelles ou imaginaires pour
les individus et les groupes. Dans ce micro-évènement, la culture (ou ce que
l’on peut se représenter comme telle) vient donner une explication à une
attitude qui a sans doute une multiplicité de raisons. D’habitude, c’est le « majoritaire »
qui attribue à l’autre des attitudes toutes culturelles, ici ce n’est pas le
cas. Mon oreille attentive repère bien ça et là des petits indices de la
perception des personnes en situation de migration dans ces termes. Ce registre
n’est ni bon ni mauvais en soi, par contre, il va souvent de pair avec une focalisation
sur les différences de l’autre et leur infériorisation.
D’autre part, j’en
déduis que cette carte d’identité en geste convoque plusieurs facettes de
l’identité, pas seulement évidemment la
culture qui d’ailleurs « n'existe pas en dehors de ceux qui l'incarnent »
(Verbunt, 2011) et j’aimerais mercredi prochain approfondir un peu cela en
demandant à chacun.e d’entre nous d’expliciter ce choix.
La proposition
de Marine aujourd’hui s’inscrit à mon sens pleinement dans la continuité du jeu
« A la lisière de la frontière » de mercredi dernier en
approfondissant la démarche. C’est un travail sur l’empathie émotionnelle
auquel elle nous invite. Tout d’abord, elle questionne la quinzaine de
personnes présentes sur la façon dont chacun.e définit l’accueil. Les un.e.s
mettent en avant l’échange, le partage, la rencontre, le lien très fort entre
accueillir et recevoir ; les autres s’expriment sur leurs difficultés
matérielles, liées à l’hébergement notamment, et sur le fait que si c’est
difficile, précaire, incertain, ils/elles tiennent le coup parce que vivre en
France est ce qu’ils/elles veulent absolument car ils/elles s’y sentent libres.
A partir de cet
échange, Marine nous invite à constituer quatre groupes affinitaires et à nous
placer aux quatre coins cardinaux. Puis elle demande à chacun.e de se diriger
vers une personne du groupe qui lui fait face en le regardant dans les yeux.
Nous nous retrouvons donc au centre du petit studio en duo, face à face, fixant
l’autre… et cela dure quatre longues minutes… Marine nous encourage dans cet
exercice – inédit pour beaucoup – en disant que cela n’arrivera peut-être qu’une
seule fois dans notre vie ! Moi, je suis en face de Mohammed et nous nous
regardons… longuement. On s’encourage aussi l’un l’autre en se disant tout bas
(parce qu’on n’a pas le droit de parler…) « que c’est difficile ! »,
on se sourit, complices dans l’adversité ! Je me suis demandée si au bout
d’un certain temps j’allais m’habituer : non, c’est sûr ! J’ai encore
en tête son regard, son sourire gêné : cette image de lui, de nous, je ne
suis pas prête de l’oublier… Puis ces longues minutes s’écoulent et Marine nous
invite à serrer l’autre, le prendre dans ses bras, lui serrer la main… Mohammed
et moi nous nous serrons la main, soulagés.
Le regard est un
lien intime, c’est ce que nous avons éprouvé ensemble. Dans sa dimension éthique,
comme l’indiquent Levinas et Le Breton, il honore la personne en face de soi,
renseigne sur le degré d’acceptation d’autrui comme une version possible de
soi. Parce que les yeux et le visage apparaissent comme le lieu de
reconnaissance, regarder autrui comme un autre c’est reconnaître chez lui sa
part d’humanité. Cette irruption du regard d’autrui peut être non seulement
éprouvante, puisqu’il s’agit de l’apparition de l’autre, mais peut également
devenir angoissante, car il s’agit de la révélation progressive que je suis
(aussi) un autre pour l’autre.
Marine invite
ensuite à faire un geste qui caractérise, exprime notre éphémère alter-ego.
Cela dure aussi assez longtemps : pas facile de décrire l’autre avec les
mouvements de son corps ! Nous cherchons le geste adéquat. Finalement, les
gestes réalisés évoquent l’autre, mais aussi la relation qui s’est nouée
l’espace d’un instant : je finis par dessiner un cercle en mobilisant mes
jambes et mes bras. Personne n’apporte d’explications, Marine ne nous le
demande pas. Les gestes sont assez variés et plus ou moins explicites. Par
exemple, Carole fait avec ses doigts dirigés alternativement vers ses yeux et
vers autrui ce geste bien connu « je te surveille ». François
les a immortalisés dans ses photographies. Marine nous demande ensuite de
former un cercle et, tour à tour, de réaliser « notre » geste. Je
trouve qu’exprimer ainsi l’autre – et ce faisant la relation à l’autre – avec
son corps est très intime et je découvre avec émotion le geste de chacun.e.
Pour finir, nous
essayons de fluidifier l’enchaînement des gestes en nous mettant à côté d’une
personne qui a un geste proche du nôtre ou qui s’enchaîne bien. Ça donne un
début de chorégraphie. La séance est terminée. A mon avis, ce commun, ce
spectacle (c’est ce que veut le groupe pour le 16 mai) qui se dessine va
s’ancrer dans cet exercice qui pose un jalon important.