vendredi 17 mars 2017

Déplaces – séance du 15 mars 2017

Petit studio – Musée de la danse – Anne Morillon
 La proposition de Marine aujourd’hui s’inscrit à mon sens pleinement dans la continuité du jeu « A la lisière de la frontière » de mercredi dernier en approfondissant la démarche. C’est un travail sur l’empathie émotionnelle auquel elle nous invite. Tout d’abord, elle questionne la quinzaine de personnes présentes sur la façon dont chacun.e définit l’accueil. Les un.e.s mettent en avant l’échange, le partage, la rencontre, le lien très fort entre accueillir et recevoir ; les autres s’expriment sur leurs difficultés matérielles, liées à l’hébergement notamment, et sur le fait que si c’est difficile, précaire, incertain, ils/elles tiennent le coup parce que vivre en France est ce qu’ils/elles veulent absolument car ils/elles s’y sentent libres.
A partir de cet échange, Marine nous invite à constituer quatre groupes affinitaires et à nous placer aux quatre coins cardinaux. Puis elle demande à chacun.e de se diriger vers une personne du groupe qui lui fait face en le regardant dans les yeux. Nous nous retrouvons donc au centre du petit studio en duo, face à face, fixant l’autre… et cela dure quatre longues minutes… Marine nous encourage dans cet exercice – inédit pour beaucoup – en disant que cela n’arrivera peut-être qu’une seule fois dans notre vie ! Moi, je suis en face de Mohammed et nous nous regardons… longuement. On s’encourage aussi l’un l’autre en se disant tout bas (parce qu’on n’a pas le droit de parler…) « que c’est difficile ! », on se sourit, complices dans l’adversité ! Je me suis demandée si au bout d’un certain temps j’allais m’habituer : non, c’est sûr ! J’ai encore en tête son regard, son sourire gêné : cette image de lui, de nous, je ne suis pas prête de l’oublier… Puis ces longues minutes s’écoulent et Marine nous invite à serrer l’autre, le prendre dans ses bras, lui serrer la main… Mohammed et moi nous nous serrons la main, soulagés. 
Le regard est un lien intime, c’est ce que nous avons éprouvé ensemble. Dans sa dimension éthique, comme l’indiquent Levinas et Le Breton, il honore la personne en face de soi, renseigne sur le degré d’acceptation d’autrui comme une version possible de soi. Parce que les yeux et le visage apparaissent comme le lieu de reconnaissance, regarder autrui comme un autre c’est reconnaître chez lui sa part d’humanité. Cette irruption du regard d’autrui peut être non seulement éprouvante, puisqu’il s’agit de l’apparition de l’autre, mais peut également devenir angoissante, car il s’agit de la révélation progressive que je suis (aussi) un autre pour l’autre. 
Marine invite ensuite à faire un geste qui caractérise, exprime notre éphémère alter-ego. Cela dure aussi assez longtemps : pas facile de décrire l’autre avec les mouvements de son corps ! Nous cherchons le geste adéquat. Finalement, les gestes réalisés évoquent l’autre, mais aussi la relation qui s’est nouée l’espace d’un instant : je finis par dessiner un cercle en mobilisant mes jambes et mes bras. Personne n’apporte d’explications, Marine ne nous le demande pas. Les gestes sont assez variés et plus ou moins explicites. Par exemple, Carole fait avec ses doigts dirigés alternativement vers ses yeux et vers autrui ce geste bien connu « je te surveille ». François les a immortalisés dans ses photographies. Marine nous demande ensuite de former un cercle et, tour à tour, de réaliser « notre » geste. Je trouve qu’exprimer ainsi l’autre – et ce faisant la relation à l’autre – avec son corps est très intime et je découvre avec émotion le geste de chacun.e.

Pour finir, nous essayons de fluidifier l’enchaînement des gestes en nous mettant à côté d’une personne qui a un geste proche du nôtre ou qui s’enchaîne bien. Ça donne un début de chorégraphie. La séance est terminée. A mon avis, ce commun, ce spectacle (c’est ce que veut le groupe pour le 16 mai) qui se dessine va s’ancrer dans cet exercice qui pose un jalon important.

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