lundi 27 mars 2017

 Déplaces – séance du 21 mars – Anne Morillon

Aujourd’hui, nous sommes au complet : François, Julie, Marine et moi.
François installe son matériel pour prendre en photo les objets grigri que chacun.e était invité.e à amener, même si encore aujourd’hui, peu y ont pensé. Nous prendrons le temps la prochaine fois de questionner chacun.e sur les raisons de ce choix, ce que ces objets évoquent pour elles/eux, pourquoi ils les accompagnent.
La séance est principalement prise en charge par Julie qui repart d’une précédente proposition (atelier du 28 février) : donner un geste ou des gestes qui nous représentent, une sorte de « carte d’identité dans un monde où on ne donne pas son nom, prénom, âge, etc. mais un geste » (je la cite). La plupart d’entre nous s’emploie consciencieusement à en trouver un, mais quelques-un.e.s ont du mal à le faire devant tout le monde ou n’ont pas d’idée sur le moment… ça viendra soit au cours de la séance soit plus tard. Finalement, on a presque tou.te.s un geste. Tour à tour nous l’accomplissons devant le groupe et les réactions vont bon train : bienveillance mutuelle et franche rigolade par moment ! Puis Julie nous demande de les refaire, de se les approprier en quelque sorte.
Ce qui me semble intéressant ici c’est la place occupée par le registre culturel (au sens anthropologique du terme) dans la définition de soi à partir d’un geste, du corps donc et la perception qu’en a autrui. Le geste de Rafida à cet égard est intéressant. C’est un mouvement circulaire du bassin et de la main. Trois ou quatre garçons semblent beaucoup s’en amuser. Face à cette réaction qu’elle estime sans doute exagérée, Inès se sent comme obligée d’apporter une explication qui se révèle être d’ordre culturel : chez moi, les garçons ne peuvent pas reproduire ce geste car c’est un geste féminin – elle utilise un mot en arabe, mais je ne l’ai pas mémorisé. Cette réaction m’intéresse beaucoup car ce que j’ai perçu de la situation n’est pas forcément un refus de la part de ces garçons, ils ont juste rigolé un peu plus que d’habitude. Cette explication que je pourrais ainsi résumer « dans ma culture, les garçons ne font pas de gestes (socialement construits comme) féminins car ils seraient discrédités » m’amène à formuler deux remarques.
D’une part, nos manières de sentir, d’agir, de penser… ne sont a priori pas toutes les mêmes dans ce groupe. Si le registre culturel (c’est-à-dire des interprétations du type « c’est culturel, c’est dans sa/ma culture, etc. ») est présent en creux, il n’est pas très mobilisé par les participant.e.s. Ce que nous avons privilégié implicitement, c’est une attention à l’individu ici et maintenant – sans pour autant nier ses héritages. J’ajouterais que cette situation interculturelle dans laquelle nous sommes met en scène des jeux de différenciation, d'opposition, d'identification qui puisent leur sens dans des références culturelles qui fonctionnent comme des ressources réelles ou imaginaires pour les individus et les groupes. Dans ce micro-évènement, la culture (ou ce que l’on peut se représenter comme telle) vient donner une explication à une attitude qui a sans doute une multiplicité de raisons. D’habitude, c’est le « majoritaire » qui attribue à l’autre des attitudes toutes culturelles, ici ce n’est pas le cas. Mon oreille attentive repère bien ça et là des petits indices de la perception des personnes en situation de migration dans ces termes. Ce registre n’est ni bon ni mauvais en soi, par contre, il va souvent de pair avec une focalisation sur les différences de l’autre et leur infériorisation.

D’autre part, j’en déduis que cette carte d’identité en geste convoque plusieurs facettes de l’identité, pas seulement évidemment la culture qui d’ailleurs « n'existe pas en dehors de ceux qui l'incarnent » (Verbunt, 2011) et j’aimerais mercredi prochain approfondir un peu cela en demandant à chacun.e d’entre nous d’expliciter ce choix.

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