Aujourd’hui, nous sommes au complet : François, Julie, Marine et moi.
François
installe son matériel pour prendre en photo les objets grigri que chacun.e
était invité.e à amener, même si encore aujourd’hui, peu y ont pensé. Nous
prendrons le temps la prochaine fois de questionner chacun.e sur les raisons de
ce choix, ce que ces objets évoquent pour elles/eux, pourquoi ils les
accompagnent.
La séance est
principalement prise en charge par Julie qui repart d’une précédente
proposition (atelier du 28 février) : donner un geste ou des gestes qui nous
représentent, une sorte de « carte d’identité dans un monde où on ne donne
pas son nom, prénom, âge, etc. mais un geste » (je la cite). La plupart
d’entre nous s’emploie consciencieusement à en trouver un, mais quelques-un.e.s
ont du mal à le faire devant tout le monde ou n’ont pas d’idée sur le moment…
ça viendra soit au cours de la séance soit plus tard. Finalement, on a presque
tou.te.s un geste. Tour à tour nous l’accomplissons devant le groupe et les
réactions vont bon train : bienveillance mutuelle et franche rigolade par
moment ! Puis Julie nous demande de les refaire, de se les approprier en
quelque sorte.
Ce qui me semble
intéressant ici c’est la place occupée par le registre culturel (au sens
anthropologique du terme) dans la définition de soi à partir d’un geste, du
corps donc et la perception qu’en a autrui. Le geste de Rafida à cet égard est
intéressant. C’est un mouvement circulaire du bassin et de la main. Trois ou
quatre garçons semblent beaucoup s’en amuser. Face à cette réaction qu’elle
estime sans doute exagérée, Inès se sent comme obligée d’apporter une
explication qui se révèle être d’ordre culturel : chez moi, les
garçons ne peuvent pas reproduire ce geste car c’est un geste féminin – elle utilise
un mot en arabe, mais je ne l’ai pas mémorisé. Cette réaction m’intéresse
beaucoup car ce que j’ai perçu de la situation n’est pas forcément un refus de
la part de ces garçons, ils ont juste rigolé un peu plus que d’habitude. Cette
explication que je pourrais ainsi résumer « dans ma culture, les garçons
ne font pas de gestes (socialement construits comme) féminins car ils seraient
discrédités » m’amène à formuler deux remarques.
D’une part, nos
manières de sentir, d’agir, de penser… ne sont a priori pas toutes les mêmes
dans ce groupe. Si le registre culturel (c’est-à-dire des interprétations du
type « c’est culturel, c’est dans sa/ma culture, etc. ») est présent en
creux, il n’est pas très mobilisé par les participant.e.s. Ce que nous avons
privilégié implicitement, c’est une attention à l’individu ici et maintenant –
sans pour autant nier ses héritages. J’ajouterais que cette situation
interculturelle dans laquelle nous sommes met en scène des jeux de différenciation,
d'opposition, d'identification qui puisent leur sens dans des références
culturelles qui fonctionnent comme des ressources réelles ou imaginaires pour
les individus et les groupes. Dans ce micro-évènement, la culture (ou ce que
l’on peut se représenter comme telle) vient donner une explication à une
attitude qui a sans doute une multiplicité de raisons. D’habitude, c’est le « majoritaire »
qui attribue à l’autre des attitudes toutes culturelles, ici ce n’est pas le
cas. Mon oreille attentive repère bien ça et là des petits indices de la
perception des personnes en situation de migration dans ces termes. Ce registre
n’est ni bon ni mauvais en soi, par contre, il va souvent de pair avec une focalisation
sur les différences de l’autre et leur infériorisation.
D’autre part, j’en
déduis que cette carte d’identité en geste convoque plusieurs facettes de
l’identité, pas seulement évidemment la
culture qui d’ailleurs « n'existe pas en dehors de ceux qui l'incarnent »
(Verbunt, 2011) et j’aimerais mercredi prochain approfondir un peu cela en
demandant à chacun.e d’entre nous d’expliciter ce choix.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire